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Pourquoi je suis communiste

Andreï Mantchuk
Pourquoi je suis communiste
Se dire communiste dans le contexte actuel de la chasse aux communistes, ce n’est pas une pose

01.12.2019
102 ans après la Grande Révolution d'Octobre, 30 ans après la chute du mur de Berlin, peut-on encore être communiste et marxiste, surtout dans des ex-pays communistes, aujourd'hui décommunisés au Karcher et convertis au fondamentalisme de marché? Quand, dans les pays de l'Ouest, le projet socialiste mis au monde par Fourier, Leroux, Proudhon, est porté par des Raphaël Glucksmann; quand on a entériné le remplacement de la lutte contre les inégalités (au niveau global) par des soins palliatifs contre la pauvreté (au niveau individuel); quand on adopte des lois pour rendre identiques le communisme et le nazisme en salissant la mémoire des millions de communistes qui ont payé de leurs vies la victoire sur le nazisme; quand les partis se disant communistes ou socialistes ne mettent plus en question le système capitaliste; quand tant d'intellectuels, de médias, d'hommes politiques se sont employés à réduire au goulag tout ce qui se revendique du communisme ou du marxisme...
 
Dans ce contexte de décommunisation totale, ceux qui osent brandir l'étendard du communisme, surtout à l'Est, sont marginalisés, criminalisés et à peine audibles. Il est donc important de faire entendre leur voix car ils font vivre la mémoire de ce que fut l’expérience socialiste, de ses torts mais aussi de ses acquis. Ils rappellent aussi que l'utopie communiste s'enracine dans la longue lutte pour l'émancipation humaine, que le communisme fut un projet libérateur et universaliste, porteur de l'espoir d'un monde plus juste et égalitaire, à l'opposé du nazisme. Le journaliste ukrainien Andriy Manchuk est l'un des ceux pour qui cet espoir ne s'est pas éteint. Voici la version réduite de son article "Pourquoi je suis communiste", publié en 2018 que j'ai traduit en français.
 
 
Ces dernières années, on m'a souvent demandé pourquoi je persistais à me définir comme un communiste. Des personnes qui me veulent du bien m’ont laissé entendre que ce n'était pas une attitude à tenir dans notre pays (l’Ukraine), qui a fait de l'anticommunisme le fondement de son idéologie et de toute sa politique. Pourquoi veux-tu t’attirer des problèmes, me demandaient ces amis. Ils me rappelaient, à juste titre, que, moi-même, j’étais très critique à l'encontre de la direction du Parti communiste ukrainien, aujourd'hui interdit, et que je n’hésitais pas à parler des pages tragiques du passé soviétique.
 
En effet, je n’ai pas grandi avec une image idéalisée du régime soviétique. J'ai découvert, assez tôt, des grands auteurs dissidents. J'ai toujours su que mon arrière-grand-père avait été exécuté sur une accusation absurde et que mon grand-père avait passé plusieurs années de sa jeunesse en prison à cause de cette tragédie. Mais le même grand-père, qui, plus tard, avait participé à la guerre contre le nazisme, me disait souvent que le pouvoir soviétique lui avait donné, à lui et à ses enfants, l’accès à tous les biens matériels et immatériels auxquels ses ancêtres ne pouvaient même pas rêver.
 
Ces échanges et mes nombreuses lectures m’ont permis à former un regard équilibré sur les soixante-treize ans de l’histoire soviétique, sans oublier ses crimes ni ses acquis.
 
Je pouvais porter ce jugement avec d’autant plus de recul que ma jeunesse a coïncidé avec la période de la fulgurante reconquête capitaliste quand tous les idéaux d’antan s’écroulaient et de nouveaux États faisaient leur apparition pour se targuer immédiatement d’une « histoire millénaire ». Je ne comprenais pas encore la machinerie de ce qui se tramait mais, déjà à l’époque, je ne nourrissais aucune illusion à ce sujet.
 
Il s’agissait des années 1990: la jungle du marché libre poussait partout, il fallait apprendre à vivre selon ses lois... Je comprenais très bien quelle place m’était réservée dans cette nouvelle Ukraine capitaliste. Né dans un grand pays dont les acquis sociaux contrebalançaient ses nombreuses tares, je me suis retrouvé, tout à coup, dans un Etat pauvre, à la périphérie du monde, entièrement dépendant de l’extérieur et ayant bradé son industrie performante contre un petit artisanat. Dans cet Etat, mes choix ont été réduits à la carrière d’un petit employé de bureau (ou d’un esclave moderne), à la vie misérable d’un chercheur-créateur de nouveaux mythes historiques, ou à l’exil, comme pour des millions de travailleurs migrants fuyant la pauvreté extrême de l’Ukraine.
 
La théorie marxiste que j’ai apprise à la faculté de la sociologie de l’Ecole polytechnique de Kiev m’a donné des clés pour comprendre toutes les antinomies de cet hideux monde post-soviétique. Je me suis immédiatement engagé dans le journalisme politique et dans de nombreuses luttes sociales en espérant pouvoir, un jour, changer ce système.
 
Je dois énormément au communisme, aujourd’hui interdit dans notre pays (et compris de manière simpliste comme un ensemble de positions politiques et socio-économiques d’extrême gauche). Grâce au marxisme, j’ai enfin pu comprendre les rouages du système capitaliste, ce qui m’a permis de ne pas être berné par des politiciens et des propagandistes, contrairement à des millions de mes compatriotes qui ont crû dans les lendemains qui chantent « à la sortie définitive du communisme».
 
Mon choix politique et idéologique m’a poussé à aller découvrir de nouveaux pays, pour voir partout à l’ouvre les mêmes mécanismes d’exploitation et de spoliation. J’ai vu aussi à quel point l’expérience soviétique avait marqué le monde entier. Malgré la défaite historique, l’existence de cette alternative à l’ordre du marché a influencé des millions de gens en les poussant à la réflexion et à la lutte. Cette influence s’est avérée tenace malgré le déclin de ces idées. Les gens des quatre coins du globe, les représentants des gauches différentes voyaient en nous des camarades, reliés à eux par le même idéal humaniste et la solidarité de classe. Nous nous sentions faire partie du même mouvement, dont les racines sont bien plus profondes que le «socialisme scientifique» soviétique car elles remontent aux premières luttes pour la libération et la dignité: à Müntzer, aux résistants de Monségur, aux thaborites.
 
Se dire communiste dans le contexte actuel de la chasse aux communistes, ce n’est pas une pose. Je comprends que la prudence et le calcul sont importants pour la gauche si elle veut survivre sous le régime hostile, intolérant et brutal. De nos jours, les communistes doivent contrer non seulement des tentatives de liquidation (parfois même physique) mais aussi la trahison des partis «communistes» post-soviétiques qui ont transformé le «communisme» en une des marques sur le marché politique, peu différente des autres. Tandis que la société droitière issue de l’Euromaïdan a complètement décrédibilise cette notion, en en faisant une insulte ou un prétexte pour une dénonciation…
 
Chaque évocation du communisme, mort et enterré il y a une belle lurette, provoque des accès de rage aux forces réactionnaires qui anéantissent mon pays et son peuple. Elles essayent d’effacer ce mot de la mémoire historique et de l’espace public – en réécrivant les manuels d’histoire, en détruisant des monuments, en donnant de nouveaux noms aux rues et aux villes entières. Ils le font parce qu’elles ont peur, aujourd’hui encore, du message révolutionnaire, de l’idée de l’émancipation que le capitalisme engendre, lui-même, en contre-réaction à ses agissements.
 
Pour cette raison je vais continuer à me proclamer communiste.
 
Andreï Mantchuk
 
Traduction du Natalia Routkevitch
 
 

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