Le 26 avril, l’Ukraine commémore la catastrophe de Tchernobyl qui est une des catastrophes écologiques les plus célèbres de notre temps. A côté de cela, notre pays connaît aujourd’hui une autre crise, sociale celle-là qui a depuis longtemps pris des proportions tragiques. Cette crise profonde et systémique frappe aussi la gauche ukrainienne qui aujourd’hui subit des poursuites judiciaires et des interdictions.
Une telle situation provient sans conteste des résultats de la victoire du coup d’Etat politique à Kiev en février 2014. A cause de lui, un groupe de politiques oligarques s’est emparé du pays en se basant sur le soutien des groupes parlementaires d’extrême-droite qui sont le fer de lance de ce qu’on a appelé l’Euromaïdan. Le nouveau pouvoir a immédiatement adopté une politique nationaliste et anticommuniste qui est organiquement associée à des réformes anti sociales menées à marche forcée qui par bcp d’aspects sont menées sous la pression du FMI, de l’UE et des USA.
Une telle politique s’est retrouvée confrontée à une résistance politique interne aigüe dans les régions du SE de l’Ukraine, dont les habitants n’ont pas soutenu l’idéologie du nationalisme ukrainien ethnique et culturel. L’attisement du nationalisme qui a été utilisé pour radicaliser et militariser les protestations de rue a peu à peu déstabilisé le pays et est devenu le facteur décisif déclencheur de la guerre dont ont souffert des millions d’habitants. Et un des résultats du conflit politique russo-ukrainien, avec les guerres commerciales et le démantèlement des liens productifs passés, a été la destruction d’une partie essentielle de l’industrie ukrainienne – qui comprend un large spectre qui va de l’industrie automobile et des entreprises aéronautiques aux mines de charbon – ce qui conduit à devoir aujourd’hui acheter du charbon aux USA, ce qui est scandaleux. L’industrie du bois est aussi touchée par la crise, en dépit du fait que l’on détruise la forêt ukrainienne pour l’exportation en Europe. Malgré les déclarations du pouvoir, la chute de la production industrielle reste constante. Et si l’on y ajoute l’inflation, à la crise du système bancaire, à l’augmentation constante de la dette extérieure insoutenable, tout cela entraîne irrémédiablement vers le fond l’économie de l’Ukraine.
Cependant, le gouvernement ukrainien ne fait rien pour tenter d’adoucir les effets de cette crise pour les citoyens. Au contraire, sous la pression des créanciers occidentaux, les fonctionnaires ukrainiens démontent à rythme forcé les restes du système de protection sociale qui est l’héritage de l’époque soviétique et qui depuis des années a permis à des millions d’habitants de survivre. Le système de santé et d’éducation de l’Ukraine est ouvertement passé à un fonctionnement commercial. La réforme lancée à grand tapage des organes de sécurité a donné naissance à une police incompétente et corrompue. Elle a absorbé dans ses rangs des nationalistes radicaux et reste complètement inefficace face à la criminalité qui augmente constamment dans un pays gorgé d’armes et qui s’appauvrit considérablement. Et le rythme d’augmentation de la pauvreté est toujours hallucinant et cela a commencé au printemps 2014 quand les prix ont considérablement augmenté, sur fond de chômage et de chute des salaires réels. Les tarifs des services municipaux ont été multiplié par 100 durant cette période et augmente encore aujourd’hui. Résultat: d’après de récentes données de l’ONU, environ 80% des habitants du pays se trouvent aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté, ce qui fait de l’Ukraine officiellement le pays le plus pauvre d’Europe. Des millions d’émigrés économiques, avec des réfugiés fuyant la mobilisation forcée, ont quitté et continuent à quitter l’Ukraine à la recherche d’un travail, vers l’UE et la Russie.
De plus, l’Ukraine s’est transformée en état-satellite qui ne se fait tout juste pas gloire d’être dans un état de dépendance avilissante envers l’UE, les USA et les organisations financières internationales. Elles dictent ouvertement leur volonté et prennent des mesures pour lesquelles plusieurs générations d’Ukrainiens vont payer les pots cassés. Souvent ces réformes anti-sociales sont prises sous la dictée directe des fonctionnaires étrangères au gouvernement qui, comme il se doit, quittent l’Ukraine ensuite sans porter aucune responsabilité de leur fiasco. Dans le même temps, la politique culturelle et éducative est complètement abandonnée aux nationalistes : ils ont pris la main complètement sur les actions culturelles, interdisent en masse des films et des livres, bloquent des réseaux sociaux entiers, détruisent des monuments, renomment des rues et des villes, tout en reformatant la mémoire historique et en transformant l’Ukraine en champ d’expérimentation du révisionnisme européen. La propagande de droite conduit à une ethnicisation de la société où les dénonciations, le langage de la haine et une intolérance agressive envers les désaccords sont devenus monnaie courante.
Dans le même temps qu’ils perdent des sources de revenus, les Ukrainiens perdent des droits et des libertés démocratiques. Même comparativement à ce qu’ils avaient sous les régimes précédents. Ces 3 dernières années, des centaines de personnes ont été arrêtés pour motifs politiques, une épuration préventive est menée dans le pays, l’activité des partis de gauche (qui auraient pu appeler les gens aux mobilisations sociales) est interdite ou réduite à néant. Et aussi une situation de réelle censure a été instaurée dans les médias qui depuis longtemps se retiennent de critiquer le gouvernement et le président. Il faut ajouter que la pression exercée par le pouvoir s’accompagne de menées violentes des milices d’extrême-droite qui dispersent et poursuivent les opposant en utilisant ce que leur statut leur permet pour échapper à leurs responsabilités pour atteinte au droit, et même en les enfreignant dans une impunité légalisée.
Les résultats de l’euromaïdan ont dégradé la vie des Ukrainiens à tout point de vue et n’ont absolument pas apporté un quelconque mieux dans les conditions existantes. D’après les données de l’enquête de Kantar TNS Online Track 75% des Ukrainiens considèrent que l’Euromaïdan n’a pas atteint les objectifs affichés il y a 3 ans et seuls 5% des gens pensent le contraire. Au cours de l’enquête du centre sociologique «Sofia», 82% des interrogés constatent que l’Euromaïdan a dégradé les conditions de vie et seuls 4,9% des gens considèrent que cela leur a apporté un mieux. Le degré de popularité du parti du gouvernement «front populaire» qui est arrivé au pouvoir sur la vague d’hystérie patriotique est tombé à 0,8%. La popularité du président a aussi baissé considérablement, en dépit de son influence sur des médias qu’il contrôle complètement et la confiance envers le «parlement de la guerre» est encore plus basse.
«Pas un seul parlement n’a eu un niveau de popularité aussi bas que l’actuel». C’est ce qu’a montré le centre SOCIS dans une enquête sur l’opinion publique. Elle a montré que seul 0,7% fait confiance au parlement et que 90% ne lui fait pas confiance. Le niveau de popularité du parlement est encore plus bas à Kiev et dans le sud, où il atteint presque 0%. Cela ne concerne pas seulement le parlement en tant que tel mais c’est encore pire et cela montre la banqueroute du système parlementaire comme le dit Marina Stavijtchuk qui a longtemps été représentante de l’Ukraine à la commission de Venise.
Ces données montrent que presque tous les ukrainiens ont eu à perdre de Maidan. La classe ouvrière industrielle, dont les intérêts sont ignorés avec mépris par la bourgeoisie libérale et nationaliste ; une paysannerie appauvrie définitivement qui doit faire face à l’abolition du moratoire sur la vente de terres ; les employés de la fonction publique ; les professeurs et les médecins ; les étudiants et les retraités ; les nombreuses catégories de bénéficiaires d’aides sociales et les déplacés de force. Et aussi, la petite et même la moyenne bourgeoisie dont les affaires ont été impitoyablement détruites par la crise.
En fait, des changements dans le pays, seuls une toute petite partie de la population du pays en ont bénéficié. Il s’agit surtout de ceux qui ont fait une carrière politique sur des affaires de corruption du gouvernement et s’enrichissent des affaires criminelles, auxquelles sont liées le pillage des biens de la population du Donbass, à la spéculation sur le patrimoine, la contre bande, des attaques à main armée, le trafic d’armes, l’exploitation outrancière de l’ambre et la déforestation illégale qui est une atteinte à l’écosystème. Et aussi les bénéficiaires des aides étrangères, la clientèle des oligarques qui renforcent leur puissance et l’extrême-droite qui a réussi à se fondre dans les structures du pouvoir et les organes sécuritaires. Mais les principaux bénéficiaires de Maïdan sont sans conteste la couche la plus élevée des riches ukrainiens, des rangs duquel est issu le président actuel et qui ont acquis une pleine liberté pour faire leur business. Ce sont eux qui ont le plus d’intérêts au maintien du statu quo actuel ce qui n’est pas difficile à comprendre étant donné que les télévisions contrôlée par le grand capitalisme qui pontifient tous dans une même voie.
Les nouvelles élites ont érigé l’anticommunisme au rang d’idéologie officielle de l’état ukrainien. Il doit être la base idéologique de la spoliation des biens accumulés à l’époque soviétique et aussi être un moyen pour sécuriser les nouvelles élites d’une éventuelle «revanche socialiste» à l’avenir. La colère des masses mécontentes est effectivement détournée contre «l’ennemi extérieur héréditaire», à savoir Moscou, ce qui neutralise dans le même temps la gauche, qui est diabolisée et qui est présentée comme la 5e colonne de la Russie.
Une telle stratégie permet non seulement de sauver de cette colère les palais et les bureaux des nouveaux maîtres du pays mais elle permet également d’ouvrir de larges possibilités de manipulation des sentiments protestataires des Ukrainiens. Les victimes des réformes du marché sont périodiquement amenés sur les places pour défendre et renforcer ces mêmes réformes. De plus, un quart de siècle après la chute de l’URSS, les résultats catastrophiques de la politique antisociale de la période post-soviétiques ont été attribués et sont attribués aux conséquences funestes du «totalitarisme soviétique». mais cela est compris de manière très ambigu dans une société de l’Ukraine post Maïdan qui est totalitaire de la tête aux pieds et où sont ressuscités beaucoup des pratiques hideuses de la période stalinienne.
Si il y a 3 ans les citoyens ont pu descendre dans les rues pour s’exprimer contre la politique du gouvernement en place, cela est pratiquement impossible aujourd’hui. Les politiques qui se sont emparés du pouvoir ne sont pas prêt de changer en dépit du mécontentement grandissant. Les discussions sur la nécessité d’un nouveau Maidan pour l’Ukraine pour déposer un pouvoir qui a dépassé les limites sont du bluff. Les protestations sociales ont été présentées depuis longtemps comme une provocation de Poutine que l’on a promis d’écraser sans pitié, en faisant les yeux doux aux bataillons nationalistes qui sont devenus la garde prétorienne des politiques et les milices privées des oligarques.
L’ironie du sort c’est que l’Etat ukrainien contemporain est une création directe de la période soviétique, comme un héritage de la révolution d’Octobre, comme ne manquent pas une occasion de le rappeler sournoisement les ultra-nationalistes russes. Cela ne concerne pas seulement les frontières dans lesquels ont été inclus des régions historiques qui ont une histoire et une culture spécifique. Mais la base productive et agricole, la science, l’éducation, la médecine, les infrastructures, la politique sociale et la culture, tout ce qu’on s’attache à détruire depuis 25 ans, est l’héritage de la période soviétique.
Faut-il dès lors s’étonner que la conséquence pratique de la politique de «décommunisation» amène maintenant à la chute, la dégradation et la dislocation progressive du pays?
Andreï Mantchuk
Traduction du russe Vincent Boulet
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